Descriere
Une aura d’«oblomovisme» semble envelopper Moldaves, un désespoir et un sentiment du néant qui n’existent pas chez les Roumains de Roumanie, bien plus toniques. Les poètes des années 80 présentés dans cette anthologie en sont imprégnés.
L’unité de cette generation tient non seulement à l’âge – ils sont nés entre 1958 (Gârnet) et 1964 (Galaicu-Pàun) et ont débuté à la fin des années 80 –, mais également à ce qu’ils rejettent tous: la poésie des générations précédentes, déclamatoire, d’inspiration rurale et d’expression métaphorique. Ils renouvellent totalement les modalités du discours poétique, sa thématique et ses moyens techniques. Mains leur «air de famille» s’arrête là; pour le reste, ils sont très différents les uns des autres et les regrouper sous une étiquette unique serait très difficile, en raison notamment de leur mode d’affirmation strictement individuel. A le différence de leurs confrères bucarestois, ils n’ont pas bénéficié d’une réflexion universitaire relative à une théorie et à une pratique de la poésie. De ce fait, les écrivaines de cette génération sont aussi souvent des critiques littéraires: Vitalie Ciobanu, Grigore Chiperi (dans la revue Contrafort, de Chisinàu), Nicolae Leahu et Mircea Ciobanu (dans la revue Semn, de Bàlti).
A la différence des générations précédentes, les poètes des années 80 n’opposent pas dramatiquement leur moi au monde, ne se lamentent pas sur la solitude, l’amour perdu ou inaccessible, la mort. Ce qui ne signifie pas que ces thèmes éternels aient disparu. Ils passent du premier plan (le poème) à l’arrière-plan (le commentaire). Ensuite, le décor de la poésie change: l’endroit habité, souvent rural, est remplacé par le désert urbain; l’espace du conflit social par l’espace vide de la chambre, des objets prosaïques ou une scène déserte. Enfin, ce sont le ton et l’intensité de l’énonciation poétique qui changent, abandonnant le pathos au profit de la sobriété. Par ailleurs, le traitement des thèmes change aussi: au traitement traditionnel, lyrique et émotionnel, succède un traitement cérébral, froid, qui introduit la distance nécessaire entre l’objet et le sujet de l’émotion. (Sorin Alexandrescu)